Le Dr. Nadia Diab, sage-femme de formation, un voile couvrant soigneusement ses cheveux, n’y va pas par quatre chemins : "Ma fille, qu’est ce que tu crois ? Une goutte de sa semence et ca suffit pour que tu tombes enceinte. Alors cette histoire de se retirer au dernier moment, je ne veux plus en entendre parler. C’est compris ?"
Dans son petit cabinet du dispensaire de Chatila, la responsable du planning familial souffle d’exaspération, ouvre le tiroir de son bureau et brandit une liasse de pochettes argentées : des préservatifs. Face à elle, Fatmeh, 27 ans, mariée et mère de jumeaux ouvre son sac à main pour y enfourner, bien au fond et à l’abri des regards, la précieuse marchandise. Elle remercie, et s’en va.
Au dispensaire de Chatila créé par l’UNWRA, l’agence des Nations Unies qui vient en aide aux réfugiés palestiniens, ces consultations de planning familial sont entièrement gratuites. Et ce matin, au troisième et dernier étage du dispensaire, une dizaine de jeunes Palestiniennes patientent sans dire un mot. Les visages sont tendus. Derrière la porte du cabinet du Dr. Nadia Diab, les mauvaises nouvelles se chuchotent à voix basse. Assise sur la table d’examen, Rania, 32 ans, hésite à retirer le voile qui lui cache les cheveux et la moitié du visage. Enceinte d’un quatrième enfant elle a rendez-vous avec la sage-femme, pour une visite de contrôle. "Déja une interruption de grossesse !" lit dans son dossier le Docteur Diab. Ici, ce terme signifie "fausse couche".
L’interruption volontaire de grossesse ou même la notion de grossesse non-désirée est formellement prohibée par la tradition coranique : "Oui, oui mais grâce à Dieu je vais encore être mère" répond sans enthousiasme Rania, "mais bon, c’est surtout à mon mari que ça fait plaisir" finit-elle quand même par lâcher. Dans les milieux les plus conservateurs, un nouvel enfant, surtout s’il s’agit d’un garçon est en principe toujours considéré comme une bénédiction divine.
Les plaquettes d’information rédigées par l’UNWRA veillent donc à ne pas utiliser le mot de "contraception" mais parlent plutôt de "contrôle de la famille". La brochure, citant le coran, conseille de "bien espacer les accouchements afin de préserver la santé de la mère et de s’assurer que le père peut survenir aux besoins de tous les enfants". Une manière volontairement détournée de faire passer le message aussi bien aux femmes qu’à leurs maris.